"...ISiki Wa bieny..." 

LeS FestinS du SenS

   [...] Le badamier faisait de l'ombre. Et ce n'était peu dire. Ses larges feuilles épaisses constituaient le caractère d'un parasol géant qui diluait la férocité carnassière de l'astre solaire. Il offrait aussi un abri pour les oiseaux sauvages. La proximité de l'homme – a contrario de leurs congénères - ne signifiait plus la scabrosité de l'existence. Ainsi de Nkènè le passereau ou encore Tisserin, gendarme, de l'hirondelle, de N'tcholi le colibri, d'Essossongolo l'alouette, et bien d'autres heureux locataires de l'écorce centenaire ; principal attrait qu'exerçait le majestueux végétal. [...]

   [...]  Qu'étaient-ce donc que ces gens ? Mais que me voulaient-ils ? Qui...? Ces évènements m'intriguèrent. Assidûment et au plus haut point. Le plus obtus qui fût dans ma conscience ! Une matrice aux multiples péripéties de la vie créatrice venait peut-être de se révéler : l'apposition absconse des  structures imprésentes du sensible constitua, plus que jamais, la traque d'une insatiable et insaisissable bête au matin de ma jeune existence. [...]

   [...] Les habitants de la cîme ancestrale avaient fait profil bas. Nul ne souffrait davantage le sarcasme de leur plénitude, ni le tohu-bohu que génèrait le négoce des graines glanées çà et là dans un coin du vaste enclos. T'Okola demeurait, à l'ordinaire, flegmatique et parfaitement absent du train-train quotidien qui anime ou sclérose la dynamique des flux capitaux propres au peuple ailé. Souvent le soir, le vieil homme sortait de sa retraite et examinait d'un regard furtif mais avisé l'étendue de sa force. L'oreille et l'œil se flattaient mutuellement par l'harmonie mise au jour dans ce lieu-dit. Celui-ci, à l'origine, n'avait été que ronces et roseaux, doux repaires de nids reptiliens. [...]


   [...] A ce jour et aussi loin que remontent ces étranges souvenirs, il n'y eut rien qui suscitât autant de joie chez les peuples Isiki que celle de ma tumultueuse traversée. Livré à mon propre sort comme jeté en pâture, ignorant pour quel festin du sens, je n'eus pour seul recours qu'une terrible et foudroyante advenance dans une vie d'enfant-adulte ; et...non moins, dans l'impitoyable dialectique de l'adulte-enfant que je défendis et chéris - tant bien que mal mais toujours de toute mon âme - sur cette même terre des vivants ! [...]

   [...] Tantôt fusaient l'Elombo, le Bolou ou l'Ekundah-Sah. Ces danses rythmiquement subtiles, d'apparâts, auxquelles se soumettent volontiers les jours heureux ; cadenses aux cœurs chaloupés où, au gré des ailes de Cupidon, la bien-aimée ne se peut guère dérober ; dédaignant d'un vile sortilège les atours de quelque danse nuptiale. Tantôt l'on entendait, par un effroyable écho, la raideur des claps d'hommes enrégimentés dans le chœur virile du bois d'Okoumé ; bois au tronc rougeâtre dont la sève, acide et résineuse, sertie de translucidité chaude et tropicale, fait pleurer des flammes de feu sur la voûte circulaire des torches indigènes ; et l'on entendait trembler le sol en battant l'amertume ; celle du chaos des origines qui précède le big-bang.[...]

   [...] Pendant ce temps, le Bwiti Ya Koa croisait au large du Rembo N'komi...dans les jugulaires acrobaties des danseurs menaçant le feu ! Et J'entendis Lolley, le fils Darnaud ! J'entendis Makoumbi ! Moumbeki ! Kalilo ! Esthète du fusil nocturne, disait-on, qui tance la quiétude des sages au soir des veillées. Le coassement plaintif des batraciens endoloris par cette cruelle sagesse au matin déclinant la tempête lagunaire. J'entendis le damage de la terre aux pas croisés, les percussions des corps de lianes qui s'entremêlent ; la râle d'un nourrisson qui tête la pointe galeuse du sein maternel, chantant l'âpre combat de la vie emmaillotée, fragile et démunie dans un lange que berce la pulsation métrique du roseau. [...]